Cahier critique 09/02/2017

"A Brief History of Princess X" de Gabriel Abrantes

Compétition Labo

Gabriel Abrantes, cinéaste d’origine portugaise à l’œuvre foisonnante, pourrait être présenté de mille et une manières. La plus juste pour évoquer A Brief History of Princess X consiste sans aucun doute à rappeler que ce jeune réalisateur a commencé sa carrière sur les bancs d’une école d’art en cosignant, en 2006, avec Katie Widloski, Olympia, un pastiche de l’œuvre de Manet. Dix ans et dix films après ce coup de maître, Abrantes montre avec A Brief History of Princess X qu’il a toujours un pied dans l’histoire de l’art et un autre dans le cinéma. Être artiste et cinéaste à la fois consiste pour lui à se situer là où on ne l’attend pas, à faire un pas de côté dans le grand musée que nous habitons. Ainsi son film retrace la genèse de “Princesse X”, le célèbre bronze sculpté par Constantin Brancusi en 1915-1916, qui fit scandale au Salon des Indépendants de 1920, et que l’on peut aujourd’hui contempler librement au Centre Pompidou.

Dans la grande tradition du drame comique d’un Molière, ce court métrage relève un double et ambitieux défi. Il s’envisage à la fois comme un documentaire pédagogique et un récit initiatique amusant : le héros, un jeune adolescent, entre dans une salle où git le bronze polis. Alors qu’il fait face à l’œuvre de l’artiste roumain, une voix off lui (nous) enseigne une étrange leçon. Après avoir évoqué Marie Bonaparte qui a inspiré cette sculpture (“Princesse X” était initialement un buste de femme...), le film se permet un écart en abordant la biographie de cette dernière ; Marie Bonaparte consacra une partie de sa vie à mesurer l’espace séparant le clitoris et du vagin chez deux cents de ses congénères afin d’améliorer la jouissance féminine… C’est tout autant à une histoire de l’art qu’à une histoire de l’Éros que nous convie Abrantes avec un humour séditieux digne du Professeur Choron et une irrévérence cochonne salutaire.

Mais le film n’en reste pas là. De son récit procède une série d’emboîtements grisants, un peu à la manière de ceux employés dans Les milles et une nuits, sur un mode qui tient tout autant de l’association (art et Éros) que de l’inversion (des sexes). À la manière d’Olympia, A Brief History of Princess X est un film sur le voile et le dévoilement, le tabou et le sacré, le dit et le secret. On ne sait si Gabriel Abrantes a réalisé ce film en ayant vu au préalable Essai cinématographique : Autoportrait ou ce qui nous manque à nous tous de Man Ray (1930) dans lequel ce dernier met en scène Lee Miller dans l’atelier de Brancusi où “Princesse X” prend la poussière. À travers cet Essai cinématographique…, Miller et Ray flirtent avec la caméra. La maîtresse de Ray joue les naïves perverses, elle tourne autour du totem priapique, l’œil alerte, dansant et blagueur. Toute cette lubricité se retrouve chez Abrantes incarnée dans la voix off magistralement interprétée par Laetitia Dosch, narratrice d’un film entièrement monologué, comme un pur contrechamp au film de Ray. Cet anti-film taillé et hypertrophié dans une forme radiophonique n’en n’est pas moins une œuvre cinématographique dont le cadre fixe rappelle les tableaux du cinéma des premiers temps. Tout se passe dans un décor épuré où trône “Princesse X” isolée. Le jeune visiteur parcourt cet espace grand comme un couloir, une boîte blanche. C’est de l’enfermement (de cette boîte, du couvre-chef du magicien) que surgit la fiction, les petites et grandes histoires autour de la célèbre sculpture. Est-ce à dire que l’art libère ? Ou bien le sexe ? Les deux, mon capitaine. Au garçon de réaliser un selfie grotesque (une anamorphose de son sexe), à l’artiste de livrer une ode magistrale à l’art et à la liberté.

Donald James

Plusieurs pages sont consacrées à ses films dans Bref n°117.

Réalisation et scénario : Gabriel Abrantes. Image : Jorge Quintela. Montage : Margarida Lucas. Son : Carlos Abreu. Interprétation : Joana Barrios et Francisco Cipriano. Voix : Laetitia Dosch. Décors : Cypress Cooke et Carlos Gaspar. Producteur : Les Films du Bélier.