Cahier critique 08/05/2019

“5 ans après la guerre” de S.Albaric, M.Wilkund et U.Lefort

Mon père, ce super-héros ?

Si l’on n’en est pas convaincu, 5 ans après la guerre explore en quoi l’identité individuelle n’est jamais une donnée figée, pouvant se construire autant que se déconstruire, se profiler et se dérober, s’édifier et être ébranlée. Il faut dire que Tim, né d’un couple très éphémère formé d’un père irakien réfugié et d’une mère juive, part d’un terrain aussi riche que complexe. La forme du film prend elle-même de multiples facettes pour mieux mettre en relief l’aspect composite de son personnage, suivant ainsi ses divagations et ses hésitations. On navigue de l’évidence ontologique (la séquence où il rencontre son père en prise de vue tout ce qu’il y a de plus documentaire) à, pour l’essentiel, différentes techniques d’animation, de la facture “réaliste” de la rotoscopie à une 2D parfois esquissée, toujours tourbillonnante, onirique et d’un chromatisme éclatant. Il convient aussi d’ajouter à cela le timbre de la voix de Tim, qui nous éloigne du cartoon pour incarner la dimension du témoignage.

5 ans après la guerre ne se contente pas d’un impeccable jeu de miroir entre fond et forme, il rend aussi hommage aux forces de l’imaginaire, celles des individus et celles de la fiction, en l’occurrence cinématographiques. Ses mots, comme les objets qui l’environnent (par exemple les affiches), font de Tim un être traversé de toute part, comme poreux, par ces puissances, pour autant de récits de substitution. Quand on n’hérite pas d’un récit, on l’invente, on se sert de ce que l’on trouve pour s’identifier, se trouver des figures tutélaires – de l’orphelin Peter “Spiderman” Parker à Dark Vador et Ben Laden, en passant par Rabbi Seligman, qui dans Les aventures de Rabbi Jacob (1973) n’est autre qu’un révolutionnaire arabe déguisé en juif… La bulle du témoignage est ainsi régulièrement percée par des fuites oniriques, où les contours du monde matériel se dissolvent, comme un réel débordé par l’imaginaire. La logique aurait voulu que la résolution – la fixation d’une identité – se fasse pour Tim lors de la rencontre avec son père, qui plus est dans ce régime d’image. Mais il ne s’agit que d’une parenthèse, de l’esquisse d’un trait de cette identité. 5 ans après la guerre a d’ailleurs l’élégance de ne pas aboutir à une résolution ; il se contente d’ouvrir sur une autre façon de se définir, passant par non plus par la fuite, mais une remontée vers les origines. Tim fait le constat à la fois simple et profond que tout individu est écrit collectivement, qu’il est un produit de l’Histoire.

Arnaud Hée

Réalisation : Samuel Albaric, Martin Wiklund et Ulysse Lefort. Scénario : Samuel Albaric. Image : Gurvan Hue et Sarah Cunningham. Animation : Martin Wiklund et Ulysse Lefort. Montage : Julien Ngo-Trong. Son : Christophe Penchenat, Julien Ngo-Trong, Xavier Marsais et Nicolas Sacco. Musique originale : Victor Pitoiset. Interprétation : Timothée Dray et Jaffard Abdalla. Production : Les Fées Productions et Miyu Productions.

Avec l'aide de France 3.

Rencontre avec Ulysse Lefort et Martin Wiklund, co-réalisateurs du film 5 ans après la guerre – Cinemas 93 :