Cahier critique 25/10/2022

“Princesses” de Margaux Elouagari

Dans la banlieue de Valenciennes, Lindsay et Leslie se retrouvent comme presque tous les jours pour tuer le temps ensemble. Sauf qu’aujourd’hui elles ont envie de sortir de leur quotidien, de faire des nouvelles rencontres, de vivre quelque chose de spécial.

Si le titre du second court métrage de Margaux Elouagari nous invite au merveilleux, le décor sur lequel s’ouvre le film n’est autre que celui d’une banlieue de Valenciennes dont Lindsay et Leslie, deux adolescentes d’une quinzaine d’années, cherchent à s’échapper. Elles ne sont conviées nulle part mais comme Cendrillon, elles sont pourtant bien décidées à s’inviter au bal. Pour cela, il faut se faire belle, s’extirper du quartier dont on vient et se rendre en centre-ville, lieu de tous les possibles, y compris celui de rencontrer des “princes” issus d’une classe sociale plus aisée. 

Le titre joue du décalage entre ce qu’il suggère et ce que le film nous montre, ancré dans un réalisme social semblable à celui dans lequel évoluaient les personnages du premier court métrage de la réalisatrice, également sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand, en 2019 : La Ducasse. On retrouve d’ailleurs dans Princesses la jeune comédienne Daurine Morlighem, qui apparaissait dans ce premier opus, ainsi que la figure du duo féminin soudée et fort face aux attentes déçues que provoquent la rencontre avec les garçons. À cet égard, on ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser au court métrage C’est gratuit pour les filles de Claire Burger et Marie Amachoukeli (2009), dont le titre trouvait également une résonnance cruelle dans les mésaventures vécues par deux amies de quelques années plus âgées que Lindsay et Leslie, après une soirée de fête et de séduction. 

Daurine Morlighem semble donc ici interpréter le même personnage que dans La Ducasse avec quelques années de plus et rejouer la même histoire, celle d’une attirance envers un jeune homme qui représente une occasion de s’échapper du quartier et même, dans Princesses, du milieu dont elle vient. Le décalage évoqué dans le titre se déploie dans le film, entre les attentes de Lindsay et Leslie et ce qui va finalement se jouer entre elles et deux garçons plus âgés, vivant dans les beaux quartiers. 

À ce duo qui les appelle “princesses” répond un autre binôme masculin qui les met en garde de façon brutale et sexiste en les traitant de “putes”. Margaux Elouagari filme de près ces personnages féminins se frayant un chemin très sinueux entre ces différentes manières de les (dé)considérer. Ainsi, à minuit, le carrosse se transforme en potiron et la lumière du petit matin jette une lumière crue sur les espoirs de la veille. Cependant, reste la force d’être deux au retour de cette nuit mouvementée, tel que nous le montre la fin du film dans un long plan sur les visages des deux adolescentes serrées l’une contre l’autre dans un train de banlieue : le merveilleux du titre n’est ainsi peut-être pas dans le mot choisi pour désigner les deux héroïnes, mais dans la marque du pluriel qui raconte leur lien étroit et puissant.

Anne-Sophie Lepicard 

France, 2020, 24 minutes.
Réalisation et scénario : Margaux Elouagari. Image : Fanny Mazoyer. Montage : Nobuo Coste. Son : Martin Lanot, Titouan Dumesnil et Clément Laforce. Interprétation : Lorina Coffaro, Daurine Morlighem, Hugo Helleputte, Jean-Baptiste Coquelle, Thibaut Pouilly, Yanis Yagoubi et Lounes Simoens. Production : Les Quatre Cents Films et Pictanovo.