Cahier critique 30/11/2021

“Palma” d’Alexe Poukine

Jeanne emmène sa fille de six ans en week-end à Majorque. Alors que tout part à vau-l’eau, la seule préoccupation de la mère est de photographier Kiki, la mascotte de la classe.

Palma, ça n’est pas le prénom de l’héroïne de ce troisième film de la cinéaste Alexe Poukine ; ça n’est pas non plus la paume de la main de Jeanne, dans laquelle Vanya, sa fille de six ans, colle la sienne. Ça serait peut-être alors le symbole par excellence de la vacance/carte postale : le palmier que cherche en vain Jeanne dans la capitale de l’île de Mallorca, ici surestimée, envahie par le béton et les marteaux-piqueurs. Au même titre que la jeune femme cherche, par l’entremise du week-end improvisé présenté dans ce magnifique moyen métrage, et encore en vain, à se voir décerner la palme de la meilleure maman. 

Après qu’elle se soit attaquée dans son précédent film, Sans frapper, aux questions du viol et du consentement, on n’est pas étonnés de voir Alexe Poukine et son équipe se saisir avec une telle intelligence de cet autre nœud plus ou moins coulant dans la vie d’une femme : la maternité. Une légère différence de méthode distingue officiellement ces deux œuvres puisque Sans frapper se classe dans la catégorie du documentaire quand Palma relève de la fiction. De son écriture autobiographique à sa méthode de tournage fondée sur l’improvisation et faisant la part belle aux proches de la cinéaste, tout concourt cependant à le situer dans cet espace flottant, ce sas fertile que représente la frontière ténue entre les deux cases. 

Le week-end coup de tête en “last minute” à Majorque avec un vol cheap doublé d’un Airbnb partagé, Alexe Poukine l’a fait en duo avec sa propre fille il y a quelques années, et c’est elle-même qui ici interprète Jeanne. Pour la petite Vanya, on découvre Lua Michel, son talent incroyable, ses simagrées désarmantes de justesse et ses petits gestes d’enfant qui comprend tout, récompensés début 2021 par le prix d’interprétation à Angers. Jeanne vit seule avec Vanya. Entre l’école et la maison, il y a un carnet qui circule dans lequel les enfants de la classe collent des photos de leurs vacances, les illustrent de dessins et de petits mots. Jeanne est apparemment sans ressources, en galère, mais elle voulait à tout prix faire plaisir à Vanya, ou bien pouvoir coller dans le carnet de sa fille des photos qui font rêver, autrement dit qui rendent jaloux les autres parents. 

Les images produites par certains films travaillent à démonter celles qui nous sont imposées en flux constant dans nos vies et façonnent désirs et représentations. Lucide mais jamais sentencieux, clairvoyant sans manquer d’autodérision, de nuances ou de foi en l’être humain, Palma défriche dans ce sens-là. Ce carnet de liaison scolaire ressemble à un réseau social pour les enfants. L’enjeu du film est là, à creuser le distinguo entre la vraie vie et celle, trafiquée, lisse et feinte, des clichés, ceux de la mère et son injonction à la perfection. Il est posé dès les premiers dialogues : “Regarde, elle, sa bouche, elle rigole, mais ses yeux, ils sont tristes !”, lance Jeanne à Vanya à propos d’une personne du carnet. Les yeux qui trahissent l’âme : Palma serait le miroir qui manquait, nous donne enfin l’œil de la maman du milieu, une mère célibataire – personnage que l’on voit si rarement à l’écran – qui fait comme elle peut, dont le sourire ne saurait masquer l’anxiété, avec des #WomanIRL ou #solitude en guise de légende. 

On doit encore ces si beaux morceaux d’authenticité cueillis dans le réel, souvent à l’épaule, à la méthode de production de Kidam, par exemple à l’origine de D’un château l’autre, d’Emmanuel Marre (2018), dont la démarche s’inscrit dans la même veine : budget réduit, tournage avec des proches, improvisation. On souhaite que toutes les mamans blogueuses, parfaites ou non, puissent voir ce film, notamment son dernier plan et sa discrète pluie de larmes, qui vient clore le film dans un halo de tendresse éblouissant. 

Cloé Tralci 

France, Belgique, 2020, 39 minutes.
­Réalisation et scénario : Alexe Poukine Image : Colin Lévêque. Montage : Agnès Bruckert. Son : Ophélie Boully, Valène Leroy et Rémi Gérard. Interprétation : Alexe Poukine, Lua Michel, Maria del Mar Alcaide et Francisco Rios Montero. Production : Kidam et Wrong Men.