Cahier critique 09/03/2021

“Maman(s)” de Maïmouna Doucouré

Aïda, 8 ans, habite un appartement de banlieue parisienne. Le jour où son père rentre de son voyage du Sénégal, le quotidien de toute la famille est complètement bouleversé : le père n’est pas revenu seul. AÏda, sensible au désarroi de sa mère, décide alors de se débarrasser de la nouvelle venue.

Avant sa sélection en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand, le premier film “professionnel” de Maïmouna Doucouré a décroché deux prix importants outre-Atlantique, à Toronto et à Sundance. Sans doute frappe-t-il partout par sa simplicité et l’honnêteté de sa démarche : aucun pathos et pas de suremploi – pourtant à coup sûr tentant – de la bouille irrésistible de sa jeune interprète aux grands yeux noirs empreints de tristesse. Car Aïda fait, à l’âge de huit ans, une violente découverte ; son papa revient du Sénégal flanqué de deux inconnus : sa seconde épouse et leur bébé. Stupéfaction de la gamine, surtout lorsqu’elle constate la réaction, aussi indignée que douloureuse, de sa propre mère, soumise à cette humiliation ordinaire liée à une tradition socioculturelle rarement montrée à l’écran.

Le tempo du film se place justement à la hauteur de l’enfant, alors que son petit monde bascule dans le déséquilibre. La mise en scène suit la progressive révélation des secrets des adultes, via une porte vitrée séparant Aïda de ses parents en pleine dispute ou un entrebâillement par lequel elle voit l’autre maman se dévêtir. Et lorsqu’elle se réfugie sous le lit, le point de vue épouse son regard, sur les jambes de sa mère en pleurs, assise et ignorant sa présence.

Peu de dialogues, un recours mesuré à la musique ; les intentions originelles “sensitives” sont parfaitement remplies. La délicatesse de l’écriture tient aussi au choix de s’abstenir de charger le personnage du père d’Aïda, incarné par l’excellent Ériq Ebouaney (qui fut, il y a une quinzaine d’années, le Lumumba de Raoul Peck). Sans le dédouaner, la réalisatrice le montre, non sans humour à travers la “scène de la flûte”, coincé entre les deux pièces de sa famille-puzzle, prétendant avant tout privilégier l’éducation de ses enfants. D’un motif par excellence miné, cette fiction propose sans doute la plus fine des approches.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°119, 2016.

Réalisation et scénario : Maïmouna Doucouré. Image : Yann Maritaud. Montage : Sonia Franco. Son : Clément Maléo. Musique originale : Léontina Fall. Interprétation : Sokhna Diallo, Maïmouna Gueye, Mareme N'Diaye, Azize Diabaté et Ériq Ébouaney. Production : Bien ou bien Productions.